Article de Laurent Polet, professeur en management à l’Ecole Centrale Supélec, publié dans Usbek&Rica

Introduire l’expression du « bonheur au travail » peut détourner des priorités du management. Cette bulle peut produire des effets contraires à ceux recherchés en augmentant finalement le mal-être en entreprise !

 

Le bonheur en entreprise au coeur des nouvelles préoccupations

 

En effet, la dégradation progressive et générale des conditions de travail des cadres a amené la thématique de la qualité de vie au travail dans des environnements professionnels, où elle était jusque là absente.

L’hyperconnectivité, l’accélération des rythmes de travail, l’intrusion de la vie professionnelle dans la sphère privée, ont marqué les mutations récentes du monde du travail. Ainsi, ces évolutions ont concouru à faire apparaître le stress et l’épuisement professionnel en entreprise. Des maladies telles que le burn-out apparaissent au sein d’une population cadre qui jouissait traditionnellement d’un statut préservé de la souffrance.

Dans ce contexte où la santé des salariés dans les entreprises devenait un nouveau sujet de préoccupation, le thème du « bonheur au travail » est apparu dans la communication des ressources humaines.

À notre époque, le choix des mots a beaucoup d’importance et ne peut être laissé au hasard. Avec une forme de surenchère évidente, le mot « bonheur » vient masquer la réalité des causes de ces mutations professionnelles. Cette surenchère nous embarque collectivement dans le mauvais sens.

 

 

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L’injonction au bonheur au travail peut générer de la frustration

 

Parler de bonheur dans le cercle professionnel ressemble à une injonction. Cette injonction s’ajoute à toutes celles du monde professionnel et qui contribuent en partie aux désengagements des salariés. Des fonctions de Chief Happiness Officer, rattachées à la fonction ressources humaines, se présentent ainsi aujourd’hui comme les garants du bonheur au travail.

Pourtant, à trop communiquer sur le bonheur au travail et sa promesse inaccessible, on finit par générer de la frustration, et récolter son revers : le mal-être. L’utilisation du terme bonheur est totalement dévoyée, desservant au final les intentions de ceux qui cherchent avec sincérité à s’attaquer aux causes profondes des dysfonctionnements du travail.

 

 

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Certes la crise sanitaire, avec son lot de bouleversements des repères traditionnels, télétravail en tête, a amplifié les réflexions sur le thème de l’épanouissement et des émotions positives au travail. Incontestablement, la mise en exergue de ces questions relève d’une prise de conscience utile au sein des entreprises.

Cependant, il faut enrayer la spirale de la surcharge de travail, la pression du temps, la course à la performance, s’attaquer aux excès de process et de normes, ou encore aux comportements toxiques. Ces chantiers sont bien plus complexes que d’accumuler les artifices que l’emblématique baby-foot a cristallisé.

Une entreprise ne doit pas « chercher le bonheur ». Elle doit simplement se concentrer sur les fondamentaux d’un management sain. Et ce n’est pas si aisé…

 

Les termes « satisfaction » et « motivation » décrivent mieux ce qu’on appelle le « bonheur au travail »

 

Je ne peux qu’alerter sur les risques de communications simplificatrices, dans lesquelles on joue avec les mots. Ici, c’est la santé mentale des salariés qui est en jeu. Cette bulle du bonheur au travail est malsaine. Par conséquent, le bonheur doit rester un sujet relevant de la vie privée. Cette notion combine une multitude de paramètres qui dépendent de chaque individu.

Ce texte est donc un appel à la modération, à dégonfler la bulle. Il vaudrait mieux moins théoriser sur les voies d’accès au bonheur. Bien au contraire, les managers devraient concentrer leurs efforts sur les rythmes de travail, les modèles d’organisation et la collaboration, ou la reconnaissance. Ce sont les seuls vrais ressorts de l’action dans le management.

 

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Ces leviers permettent de limiter les causes racines des décrochages des employés, et construisent un travail qui est sain, motivant, plaisant. Car s’ils font moins d’effet, les termes « satisfaction » et « motivation » décrivent mieux ce qui est nécessaire et suffisant pour être tout simplement « bien dans son travail ». Alors laissons à chacun le choix d’accéder au bonheur comme il le désire !


 

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